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Texte de Marion Zilio (octobre 2020)

"predictive muse"

Pour pallier l’angoisse de la page blanche, Emmanuelle Potier n’a de cesse d’élaborer des stratégies ou des protocoles de contraintes qui l’obligent et l’orientent dans ses œuvres. Dans sa dernière série, l’artiste troque les créatures mythologiques et les charmes du féminin contre des algorithmes susceptibles de mieux connaître ses goûts qu’elle-même.
Du Data Mining au Data Painting, il n’y eut qu’un pas. En confectionnant avec des ingénieurs, des développeurs et des peintres, un programme d’exploration et d’analyse de bases de données picturales, Emmanuelle Potier a fait de La muse une parfaite alliée pour déterminer le choix de son sujet. L’application accumule et détecte d’abord les règles de composition-type de la peinture occidentale, puis en restitue de façon concise l’ordonnancement, avec ses lignes de force et autres pyramides structurant les chefs d’œuvres. À cette première base de données se greffe une seconde, alimentée cette fois-ci par les sources d’influence de l’artiste. Le programme organise alors le patron, sous l’œil prédictif et automatique d’une IA. La boîte noire officie l’alliance des Grands Maîtres avec le style et les préférences de la peintre.
De ce scénario de science-fiction, télescopant l’Histoire de l’Art et le présent, émerge un ensemble de questions. Qui de l’IA ou de la peintre se fait l’outil et l’extension prothétique de l’autre ? Jusqu’à quel point la détermination et le libre arbitre sont-ils à l’œuvre et travaillent-ils la tension entre technique et intuition, imagination et génie ? De ce dialogue entre Emmanuelle et la machine, se recompose paradoxalement une sensibilité singulière. Car si le programme lui souffle un point de vue ou sature l’espace par la répétition d’un motif, c’est la peintre qui opère la réunion des parties et fait tenir le tout. Révélant ainsi les coulisses de son organisation perceptive, le logiciel devient le terrain de jeu d’une pratique picturale aux ressorts oniriques et surréalistes

 

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Texte de Marion Zilio, préface du livre 365 jours (2017)

"Chroniques inactuelles" (extrait)

 

 « Une blessure, c’est un événement [...]. C’est ça être digne de ce qui arrive, 

c’est dégager dans l’événement qui s’effectue en moi ou que j’effectue, 

c’est dégager la part de l’ineffectuable ». 

                                                                                                                                      Gilles Deleuze

 

Lorsque Emmanuelle Potier entama sa série des 365 peintures durant l’année 2015, elle ne s’attendait pas à renouveler si profondément sa pratique plastique ni à produire un contre-reportage de l’actualité. Pourtant, sur la base de la première information glanée depuis son poste de radio en allant travailler, Emmanuelle a composé un calendrier d’événements au jour le jour. Ainsi, du 7 janvier qui secoua la France avec les attentats de Charlie Hebdo au deuil national décrété les 14, 15 et 16 novembre, des alertes vigilance orange liées aux intempéries à la victoire de Syriza le 25 janvier, en passant par la fusion du groupe Alcatel-Lucent avec Nokia le 15 avril ou encore la séparation de bébés siamois à l’hôpital Necker le 1er juin, ce sont les manifestations événementielles d’une actualité quotidienne qui sont revisitées et détournées de leur circuit médiatique. Car la sphère médiatique ne se contente pas de relayer les événements. Elle les crée, les amplifie, les théâtralise, leur donne une urgence qui relève plus du sensationnalisme et du commentaire que de l’information. Si bien que nous vivons dans un état de « surinformation perpétuelle » corrélatif d’une « sous-information chronique », ainsi que le commenta Pierre Nora (...)

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Texte de Ramon Tio Bellido (2017)

"Ephémérides" (extrait)

 

Tel qu’annoncé par un court préliminaire, les 365 tableautins qu’Emmanuelle Potier a peint quotidiennement tout au long de l’année 2015, obéissent à un protocole plus intuitif qu’organisé, consistant à s’obliger à coucher vite fait sur le papier une image fugace de l’actualité du jour, triée dans l’avalanche des informations débitées par les infos matutinales.

Le résultat, lorsqu’on s’y attarde avec une attention appuyée, s’avère être la succession logique d’un assez bel ensemble d’illustrations, sans que pourtant ne puisse se déceler la proéminence d’un ordre, voire celle d’un discours sinon d’un commentaire sur les « faits du jour ». Loin de s’en étonner, je pense au contraire qu’il faut s’en satisfaire et prendre nommément à la lettre les indications ainsi livrées. Car grande serait la tentation, au vu de l’énoncé, de chercher une logique égale à celle des calendriers, des agendas et autres almanachs (...)

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Texte de David Bouchacourt (2016) 

"Au Delà"

Tout a commencé comme un jeu : tous les jours, lors du trajet vers l'atelier, allumer la radio et s'inspirer de la première nouvelle que l'on entend pour en faire une petite peinture. En somme se définir une contrainte qui appelle et accompagne le processus créatif et s'atteler, disciplinée, à la suivre. Mais insidieusement, lentement s'est révélé le visage véritable derrière ce jeu : de jeu il n'y en a point. Le cœur du véhicule médiatique c'est l'émotion négative, négative parce que subie en toute impuissance, constater et que faire, peindre ? "365 jours" se présente sous la forme d'un ensemble de 365 peintures qui forment un panorama pictural sur une année.

Et puis, la manière change, subtilement, l'esprit se veut plus léger.

Engoncés dans leurs tenues blanches immaculées qui les font ressembler à des fantômes d'opérette, des personnages s'animent et s'occupent à des taches absorbantes, entourés de lumières chatoyantes. Un îlot s'éloigne à la dérive. Une lumière de cierges s'élève. Des gants caoutchouteux tendent leurs doigts vers ailleurs.

Sur papier, des corps chutent tandis que d'autres s'envolent, corps d'huile et de poudre de graphite, velouté de la touche aussi pour ces dessins inspirés de "Psyché ranimée par le baiser de l'Amour" de Canova qui jusque dans leurs matières évoquent une tendresse toute minérale.

Dans la mythologie de l'Inde antique, il est dit que la réalité est cachée derrière un voile d'illusion, le voile de Māyā et que le percer est éveil.

Un ensemble de peintures et de dessins de formats variables forment une piste vers cet Au delà.

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Texte de Valery Poulet (2014)

Crashs d’avions, embrasements, inondations : ce sont les images caractéristiques des catastrophes naturelles ou accidentelles. Emmanuelle Potier traite de ces motifs. Elle réalise des séries dont elle exploite, comme dans les Crashs, les diverses potentialités. Sa peinture est à l’image des bombardement d’images et garde la trace du trauma de la répétition (les images instables se déforment dans notre mémoire). On se réfèrera volontiers à l’Image-temps et à l’Image-mouvement de Gilles Deleuze. Une relation inédite s’établit entre l’immédiateté du réel (le crash d’un avion) et certaines déclinaisons mentales proches de l’abstraction. La peinture d’Emmanuelle Potier joue — et se joue — de la permanence et de l’impermanence : flexion du temps, déclinaison de la réminiscence. Les Cierges ouvrent, par des images insaisissables, à la notion d’un temps qui s’échappe et reflue. La bougie symbolise la purification, la renaissance autant que la commémoration ou l’offrande. Cette série peut être vue comme un hommage au traitement de la lumière dans l’histoire de la peinture (Georges de La Tour, Le Caravage, Turner), mais aussi, par extension, à une certaine forme de sagesse. Héraclite suggérait : « On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve ».

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